
LE PIANISTE
I
Ce clavier, il y revenait chaque matin,
C’était ainsi depuis qu’il avait cru
Entendre un son qui eût changé la vie
Il écoutait, martelant le néant.
Et ainsi allait-il un sol détrempé.
La musique, plus rien qu’une lueur
À l’horizon d’un ciel qui restait sombre,
Il croyait que l’éclair s’y amassait.
Il vieillit. Et l’orage l’enferma
Dans sa maison aux vitres embrasées.
Ses mains sur le clavier égarèrent son rêve.
Est-il mort? Qu’il se lève, dans le noir,
Et entrouvre sa porte, et sorte! Ne sachant
Si c’est le jour qui point ou la nuit qui tombe.
II
Une main qui se risque, désirante,
Dans les remous d’une eau soit claire soit sombre,
Son image se brise, on pourrait croire
Qu’elle n’a plus la force de retenir.
Et cette autre, dans un miroir? Elle s’approche
De la tienne, qui vient à elle, leurs doigts se touchent
Presque, mais dans le rien de cet écart
S’ouvre l’abîme entre être et apparence.
Ces doigts, au moins, qui émeuvent des cordes.
Une autre main va-t-elle, du fond des sons,
Monter les prendre dans les siens, pour les guider?
Mais vers quoi? Je ne sais si c’est amour
Ou mirage, et rien que du rêve, les paroles
Qui n’ont qu’eau ou miroir, ou son, pour tenter d’être.
§
I
Quella tastiera, lui vi tornava ogni mattina,
Era così da quando aveva creduto
Di udire un suono che avrebbe cambiato la vita,
Ascoltava, martellando il nulla.
E così percorreva un suolo fradicio.
La musica, nient’altro che un bagliore
All’orizzonte di un cielo che restava cupo,
Credeva che vi si addensasse il lampo.
Invecchiò. E il temporale lo rinchiuse
Nella sua casa dai vetri illuminati.
Le sue mani sulla tastiera smarrirono il sogno.
È morto? Che si alzi, nel buio,
E socchiuda la porta, ed esca! Senza sapere
Se sia il giorno che spunti o la notte che cali.
II
Una mano che s’arrischia, anelante,
Nei vortici di un’acqua sia chiara sia cupa,
La sua immagine si sbriciola, si potrebbe credere
Che non abbia più la forza di trattenere.
E quest’altra, nello specchio? Si avvicina
Alla tua, che le va incontro, le loro dita si toccano
Quasi, ma nel nulla di questa distanza
S’apre l’abisso tra essere e apparenza.
Queste dita, almeno, che scuotono corde.
Un’altra mano salirà, dal fondo dei suoni,
A prenderli nei suoi, per guidarli?
Ma verso cosa? Io non so se è amore
O miraggio, e nient’altro che sogno, le parole
Che non hanno che acqua o specchio, o suono, per tentare d’essere.
YVES BONNEFOY