Prometeo

PROMÉTHÉE

Un animal hagard de solitude,
Sans cesse au ventre un rongeur qui le mord,
Le fait courir, tremblant de lassitude,
Pour fuir la faim qu’il ne fuit qu’à la mort;
Cherchant sa vie au travers des bois sombres;
Aveugle quand la nuit répand ses ombres;
Au creux des rocs frappé de froids mortels;
Ne s’accouplant qu’au hazard des étreintes;
En proie aux dieux, criant sous leurs atteintes –
Sans Prométhée, hommes, vous seriez tels.

Feu créateur, destructeur, flamme artiste!
Feu, héritier des lueurs du couchant!
L’aurore monte au cœur du soir trop triste;
Le doux foyer a joint les mains; le champ
A pris le lieu des broussailles brûlées.
Le métal dur jaillit dans les coulées,
Le fer ardent plie et cède au marteau.
Une clarté sous un toit comble l’âme.
Le pain mûrit comme un fruit dans la flamme.
Qu’il vous aima, pour faire un don si beau!

Il donna roue et levier. O merveille!
Le destin plie au poids faible des mains.
Le besoin craint de loin la main qui veille
Sur les leviers, maîtresse des chemins.
O vents des mers vaincus par une toile!
O terre ouverte au soc, saignant sans voile!
Abîme où frêle une lampe descend!
Le fer court, mord, arrache, étire et broie,
Docile et dur. Les bras portent leur proie,
L’univers lourd qui donne et boit le sang.

Il fut l’auteur des rites et du temple,
Cercle magique à retenir les dieux
Loin de ce monde; ainsi l’homme contemple,
Seul et muet, le sort, la mort, les cieux.
Il fut l’auteur des signes, des languages.
Les mots ailés vont à travers les âges
Par monts, par vaux, mouvoir les cœurs, les bras.
L’âme se parle et tâche à se comprendre.
Ciel, terre et mer se taisent pour entendre
Deux amis, deux amants parler tout bas.

Plus lumineux fut le présent des nombres.
Les spectres, les démons, s’en vont mourant.
La voix qui compte a su chasser les ombres.
L’ouragan même est calme et transparent.
Au ciel sans fond prend place chaque étoile;
Sans un mensogne elle parle à la voile.
L’acte s’ajoute à l’acte; rien n’est seul;
Tout se répond sur la just balance.
Il naît des chants purs comme le silence.
Parfois du temps s’entrouve le linceul.

L’aube est par lui une joie immortelle.
Mais un sort sans douceur le tient plié.
Le fer le cloue au roc; son front chancelle;
En lui, pendant qu’il pend crucifié,
La douleur froide entre comme une lame.
Heures, saisons, siècles lui rongent l’âme,
Jour après jour fait défaillir son cœur.
Son corps se tord en vain sous la contrainte;
L’instant qui fuit disperse aux vents sa plainte;
Seul et sans nom, chair livrée au malheur.

§

Un animale stravolto di solitudine,
con un pungolo incessante che gli morde il ventre,
lo fa correre, tremante di stanchezza,
per fuggire la fame, a cui si sottrae solo morendo;

un animale che cerca la sua vita per oscure selve;
cieco quando la notte distende le sue ombre;
sferzato da freddi mortali nel cavo delle rocce;
che si accoppia soltanto in casuali amplessi;
che urla, preda degli dei, ai loro strali –
uomini, senza Prometeo, voi sareste tali.

Fuoco che crei e che distruggi, artefice fiamma!
Fuoco, erede dei bagliori del tramonto!
Troppo triste l’aurora ascende al cuore della sera;
il dolce focolare ha congiunto le mani; il campo
ha preso il posto delle sterpaglie arse.
Il duro metallo zampilla nelle colate.
Il ferro ardente si piega, docile al martello.
Un lume sotto il tetto colma l’anima.
Il pane matura come un frutto nella vampa.
Quanto vi amò, per portarvi un dono così bello!

Vi diede ruota e leva. O meraviglia!
Il destino cede sotto il debole peso delle mani.
Il bisogno teme da lontano la mano che vigila
sulle leve, signora delle strade.
O venti marini placati da una vela!
O terra aperta al vomere, sanguinante e svelata!
Abisso dove un esile lume discende!
Il ferro corre, morde, strappa, tende, frantuma,
docile e duro. Le braccia reggono la loro preda,
l’universo greve che dona e beve sangue.

Fu il facitore dei riti e del tempio,
cerchio magico che trattiene gli dei
lontano dal mondo; così l’uomo contempla,
solitario e muto, la sorte, la morte, i cieli.
Fu l’autore dei segni e dei linguaggi.
Le parole alate vanno attraverso le epoche,
per monti e per valli, a muovere cuori e braccia.
L’anima si parla, e cerca di comprendersi.
Tacciono cielo, terra e mare per ascoltare
due amici, due amanti dialogare a fil di voce.

Più luminoso ancora fu il dono dei numeri.
Spettri e demoni scompaiono morendo.
La voce che ordina ha saputo scacciare le ombre.
Anche l’uragano è calmo, trasparente.
Nel cielo senza fondo trova posto ogni stella;
senza inganno fa da guida alla vela.
L’opera si aggiunge all’opera; niente è solo;
tutto si corrisponde sull’esatta bilancia.
Nascono canti puri come il silenzio.
Talvolta il tempo dischiude il suo sudario.

Grazie a lui, l’alba è gioia immortale.
Ma una sorte malvagia lo tiene piegato.
Il ferro lo inchioda alla roccia; la sua fronte vacilla;
in lui, che pende crocifisso,
il dolore penetra freddo come una lama.
Ore, stagioni, secoli, gli azzannano l’anima,
giorno dopo giorno gli si spezza il cuore.
Invano il suo corpo si contorce nella stretta;
l’istante che fugge disperde il suo pianto nel vento;
solo e senza nome, carne abbandonata alla sventura.

SIMONE WEIL

Published in: on settembre 10, 2020 at 07:21  Lascia un commento  

La porta

LA PORTE

Ouvrez-nous donc la porte et nous verrons les vergers,
Nous boirons leur eau froide où la lune a mis sa trace.
La longue route brûle ennemie aux étrangers.
Nous errons sans savoir et ne trouvons nulle place.

Nous voulons voir des fleurs. Ici la soif est sur nous.
Attendant et souffrant, nous voici devant la porte.
S’il le faut nous romprons cette porte avec nos coups.
Nous pressons et poussons, mais la barrière est trop forte.

Il faut languir, attendre et regarder vainement.
Nous regardons la porte ; elle est close, inébranlable.
Nous y fixons nos yeux ; nous pleurons sous le tourment ;
Nous la voyons toujours ; le poids du temps nous accable.

La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ?
Il vaut mieux s’en aller abandonnant l’espérance.
Nous n’entrerons jamais. Nous sommes las de la voir…
La porte en s’ouvrant laissa passer tant de silence

Que ni les vergers ne sont parus ni nulle fleur ;
Seul l’espace immense où sont le vide et la lumière
Fut soudain présent de part en part, combla le coeur,
Et lava les yeux presque aveugles sous la poussière.

§

Apritela porta, dunque, e vedremo i verzieri,
Berremo la loro acqua fredda che la luna ha traversato.
Il lungo cammino arde ostile agli stranieri.
Erriamo senza sapere e non troviamo luogo.

Vogliamo vedere i fiori. Qui la sete ci sovrasta.
Sofferenti, in attesa, eccoci davanti alla porta.
Se occorre l’abbatteremo coi nostri colpi.
Incalziamo e spingiamo, ma la barriera è troppo forte.

Bisogna attendere, sfiniti, guardare invano.
Guardiamo la porta; è chiusa, intransitabile.
Vi fissiamo lo sguardo; nel tormento piangiamo;
Noi la vediamo sempre, gravati dal peso del tempo.

La porta è davanti a noi; a che serve desiderare?
Meglio sarebbe andare senza più speranza.
Non entreremmo mai. Siamo stanchi di vederla.
La porta aprendosi liberò tanto silenzio.

Che nessun fiore apparve, né i verzieri;
Solo lo spazio immenso nel vuoto e nella luce
Apparve d’improvviso da parte a parte, colmò il cuore,
Lavò gli occhi quasi ciechi sotto la polvere.

SIMONE WEIL

Published in: on dicembre 15, 2017 at 07:01  Comments (2)